Combien d'heures passées à m'évader dans des contrées lointaines, à m'émerveiller devant les photos de Steve McCurry mais aussi à me questionner sur le sens de l'image. La photo de reportage nous raconte une histoire, et s'emploie à montrer, dénoncer, émouvoir et parfois même à choquer la conscience collective.
Certes, elle ne changera certainement pas le monde ; en revanche, elle est ce grain de sable qui interroge, bouscule et parfois touche notre conscience. De fait, elle nous permet de voir la vie, non pas telle qu’elle pourrait ou devrait être, mais telle qu’elle est. Elle nous fait don de son objectivité.

A mes débuts, mon idée de la photographie était que les images devaient être frappantes, saisissantes, toutes, chacune, unanimement belles. Je contemplais les paysages vierges d’Ansel Adam, en m’imaginant parcourir le monde et ramener dans mon boîtier ce que la nature peut nous offrir de plus beau, de plus magique.
Ensuite, mon regard sur la photographie a évolué ; j’ai appris qu’il ne s’agissait pas de faire de belles photos mais de raconter des histoires. L’intention n’est plus la même. Ainsi l’Humain peut devenir le personnage principal d’une petite ou grande histoire, dont je serai le narrateur. Avec ce regard, le paysage vierge, pur, prend un aspect simplement décoratif.

La photographie de paysage se réfléchit, se prévoit. Son caratère immuable rend l'exercice plus scolaire. Et puis un paysage, surtout, cela n'a pas son mot à dire lorsqu'on veut le prendre en photo. Pour l'Humain c'est différent, le temps de la réflexion est moins permis de part la nature hasardeuse de la rencontre. J’ai toujours été intéressé par ces quidams croisés durant mes pérégrinations. Leur mystère m’intrigue. Qui sont-ils ? Quelle genre de vie mènent-ils ? Sont-ils heureux ou malheureux ? Sont-ils des êtres aimés ou des âmes perdues ? J’aime à les imaginer traversant les hauts et les bas de la vie que nous pouvons tous connaître ou au moins en être témoins.
Dans un portrait, ce qui me plaît surtout c'est le moment où mon coeur me dira “maintenant”.

Initialement, je voulais éviter la photographie de "mode" en extérieur comme en studio. Je la considérais trop rigide, trop conforme aux critères de beauté dictés par la mode et les médias.
Plus tard, je suis revenu sur cette réflexion, trouvant dans cet exercice consenti un moyen de réconcilier certaines personnes avec leur image, à gommer les rides de leur Moi. Mais je n'oublie pas pour autant les personnes physiquement jolies, dont le délice est de faire exister à jamais l'image d'une beauté qui inévitablement s'estompera avec le temps.